- La parole à...
Discours de Benoit Pollet pour l’ouverture de la Rencontre en région BD au Havre
Monsieur le Premier Ministre, Monsieur Le Maire, cher Edouard Philippe,
Madame l’adjointe à la culture, chère Fabienne Delafosse,
Monsieur le directeur de la bibliothèque Oscar Niemeyer, Dominique Rouet, et votre précieuse équipe représentée par Cécilia Le Metayer et Nathalie Beaufort-Lamy,
Mesdames Sophie Noël et Valérie Schmitt de l’agence régionale Normandie Livre & Lecture,
Chers collègues, chers toutes et tous ici réunis,
Nous sommes accueillis ce matin dans ce bâtiment singulier et merveilleux dessiné par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer, et c’est un très grand plaisir de vous y saluer. C’est une joie aussi de fêter aujourd’hui les 10 ans des Rencontres BD en régions lancées par les éditeurs BD et manga membres du Syndicat national de l’édition.
Ce format des Rencontres BD en régions nous tient particulièrement à cœur : nous réunissons chaque année des professionnels du secteur au sein d’un festival ou d’un lieu emblématique de la culture dans une région française. Il nous permet de discuter, de partager des problématiques BD avec les acteurs de terrain, libraires, bibliothécaires, médiathécaires, enseignants ou membres d’associations œuvrant pour la lecture, toutes et tous essentiels pour la promotion en tout lieu et pour tous les publics de notre genre éditorial.
Après Amiens l’an dernier, Blois il y a deux ans, nous sommes heureux que cette journée s’inscrive dans le cadre de la manifestation Un Automne à Buller, « un voyage en bande dessinée en même temps qu’une promenade dans la ville » comme vous l’écrivez si joliment, qui se tient jusqu’au 1er décembre au Havre.
Avant de revenir à quelques-uns des thèmes qui vont nous occuper aujourd’hui, je voudrais vous rappeler quelques réalités et principaux enjeux de notre secteur.
Avec 75 millions d’exemplaires diffusés l’année dernière, la BD dans toutes ses expressions, mangas et comics inclus, représente le 2e segment de l’édition en France. Un livre sur 5 vendus est dorénavant une bande dessinée.
On évalue à environ 10 millions le nombre d’acheteurs de BD, de mangas et de comics en France.
Elle occupe la 1ère place des ventes à l’international avec plus de 30% des cessions de droits. On en recense 3 850 l’année dernière, les principales langues de traduction à l’étranger étant l’espagnol, l’italien, l’allemand, l’anglais, le chinois…
Elle inspire de plus en plus d’autres univers culturels, comme le cinéma, les séries, les théâtres, les jeux vidéo ou de société… J’irai même plus loin : la pluridisciplinarité s’est emparée des scènes et le public plébiscite régulièrement les initiatives qui mêlent les disciplines ; « concert dessiné », « opéra-manga », jusqu’à de nouvelles écritures ou nouveaux modes de lectures, comme le webtoon, qui se développe aujourd’hui.
Enfin, elle investit les musées et même l’Académie des beaux-arts.
Plongeant ses racines dans l’humour et l’aventure – le divertissement – elle s’épanouit aujourd’hui dans toutes les histoires, fictionnelles ou réelles, historiques, biographiques, autobiographiques, reportages, documentaires, essais… avec tous les styles et toutes les expressions graphiques. La BD est plurielle et c’est sa grande force !
Voyez plutôt. Parmi les titres les plus vendues depuis le début de cette année, on trouve :
- les histoires pour la jeunesse d’une petite héroïne au caractère bien trempé Mortelle Adèle de Mr Tan et Diane Le Feyer ;
- un équipage de pirates en quête du trésor, One Piece d’Eiichiro Oda ;
- l’adaptation d’un roman postapocalyptique à grand succès de Cormac McCarthy, La Route de Manu Larcenet ;
- 4 000 ans d’une histoire universelle qui donne des clés pour comprendre le contexte actuel, Histoire de Jérusalem de Vincent Lemire et Christophe Gaultier ;
- Un petit gaulois qu’on ne présente plus, Astérix, L’Iris blanc de Fabcaro et Didier Conrad ;
- La suite d’une autobiographie multi-primée mêlant éducation, culture et tradition et géopolitique au Moyen-Orient L’arabe du futur – Moi, Fadi le frère volé de Riad Sattouf.
Si la BD et le manga se classaient d’abord dans le domaine du divertissement, il apparaît clairement au fil des années, que le développement de tout un pan de la BD dédié à la connaissance en fait un vecteur essentiel d’apprentissage.
Elle divertit, instruit, participe à l’éveil des consciences, elle n’est pas un tremplin vers la lecture, elle est aussi la lecture.
Bref, elle a largement acquis ses lettres de noblesse.
Et pourtant, comme tous les livres, elle doit sans cesse relever certains défis majeurs :
Celui du mauvais procès fait au pass Culture, notamment dans son volet individuel, nous tenons à rappeler cette évidence : les jeunes doivent conserver le choix de leurs lectures, de leur culture, et le livre sous toutes ses formes est un moyen puissant d’émancipation, de développement individuel qui doit être encouragé par tous et à tous les niveaux, et en premier lieu par le ministère de la Culture.
Il est primordial d’encourager tout ce qui permet à des publics jeunes de franchir la porte des bibliothèques et des librairies, ces lieux emblématiques de connaissance et d’inspiration où l’on peut être conseillé et créer du lien avec les médiateurs du livre, mais aussi entre pairs.
Celui du piratage, notamment des mangas, sur des plateformes françaises et étrangères illégales qui ne cessent de proliférer, et je rappelle d’ailleurs la récente action menée par le Syndicat national de l’édition contre le site pirate Z-Library et ses 98 avatars interdits par le tribunal de Paris en septembre dernier, ainsi que l’engagement d’actions contre des plateformes illégales de téléchargement de mangas.
Celui de l’importante montée des ventes des livres d’occasion qui préoccupe les auteurs et leurs éditeurs : 1 livre sur 5 en 2022, probablement 1 sur 4 aujourd’hui, sans aucun revenu ni compensation au bénéfice des acteurs de la création, rémunérés en proportion de la vente de livres neufs. Il est urgent de mettre en place un dispositif pour remédier à cette situation qui risque de déstabiliser l’ensemble de la chaîne du livre. Nous en appelons à la mise en place d’une véritable politique publique à la hauteur de l’enjeu.
Le défi enfin essentiel de la Lecture dans un contexte où elle fléchit face à l’écran (19 minutes de lecture quotidienne pour un jeune face à 3h11 d’écran selon étude récente du CNL) et pour relever lequel le rôle de chacune et chacun ici présents est primordial.
C’est bien par vos efforts, votre voix et votre médiation que la lecture progressera.
J’en viens maintenant aux thèmes de nos rencontres aujourd’hui. Nous allons à travers 4 tables rondes aborder la relation entre les jeunes et la BD, quand celle-ci devient un instrument de savoir, ou encore quand elle véhicule des adaptations de grandes œuvres littéraires, nous reviendrons aussi sur la manière dont les mangas font lire les jeunes, et sur la force du dessin dans la narration.
Toutes ces questions sont au cœur des réflexions des professionnels, et nous sommes heureux d’en débattre avec vous et espérons des échanges fructueux, interactifs, y compris avec le public.
Enfin, j’aimerais rappeler que les éditeurs du SNE proposent un outil pédagogique intitulé « La BD en classe ». Cette collection, dont un premier tome est paru en 2020, consacré à la figure des monstres et un second, paru en 2022, sur le thème du développement durable propose aux élèves du cycle 3 (CM1, CM2, 6e) et à leurs enseignants des outils de médiation. En janvier 2025 paraîtra un nouveau tome sur la thématique de l’aventure. Avec ce dispositif, le groupe Bande dessinée du SNE s’engage en faveur d’une intégration plus forte de la BD dans les parcours scolaires, dans la lignée des échanges de notre rencontre.
Ce dispositif ne peut vivre que grâce à l’engagement des enseignants, car c’est bien eux qui transmettent le goût de la lecture dès le plus jeune âge. Nous voulons aussi leur rendre hommage à travers cette journée d’étude sur la BD comme instrument de savoir.
Il me reste à remercier l’ensemble des intervenants, auteurs, éditeurs et modérateurs d’avoir répondu à notre invitation, et notre fidèle partenaire, la SOFIA, pour le soutien accordé à l’organisation de cette journée, sans oublier aussi l’équipe du SNE, et évidemment encore une fois à la ville du Havre et à l’équipe de la médiathèque pour ce chaleureux accueil.
Sans plus tarder, je passe virtuellement la parole à Delphine Quelin du cabinet Junior City, qui revient dans la vidéo suivante sur l’étude que nous avons commandité l’année passée pour analyser l’évolution du lectorat des genres de la BD et du manga.
Merci à toutes et à tous de votre présence et bonnes rencontres !