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Discours de Vincent Montagne – 77e Foire de Francfort – Mercredi 15 octobre 2025

Chers collègues et amis du livre,

Cher Antoine, chère Régine, je vous remercie pour vos propos engagés dont je partage l’ambition…

 

Francfort est toujours un moment particulier, nous partageons tous ici la même passion, celle du texte, de la pensée, de la création, de la transmission. Nous avons en commun cette conviction que le livre doit trouver son chemin, séduire, et convaincre nos confrères étrangers car s’il est un objet économique il est aussi pilier de la démocratie, un vecteur d’émancipation et un symbole de liberté.

 

La période que nous traversons est marquée par une tension croissante sur le marché du livre. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : une baisse du chiffre d’affaires de l’ordre de 1,5 % en 2024, qui s’accentue encore cette année, en particulier sur certains segments. Et vous le savez, la baisse en volume, reflet plus direct du temps de lecture, est plus significative encore.

 

Cette situation n’est pas propre à la France. Aux États-Unis, la légère croissance du marché, tirée par la non-fiction et la littérature jeunesse, cache des disparités profondes. En Europe, le marché allemand s’essouffle, l’Italie résiste difficilement, au Royaume-Uni, l’inflation des coûts de production fait chanceler des acteurs pourtant solides. Seuls l’Espagne et le Portugal progressent.

Les causes de cette situation sont multiples.

 

Le commerce du livre d’occasion se structure. En l’absence de toute rémunération des auteurs et des éditeurs, il se fait aujourd’hui au détriment de la création et de la diversité éditoriale, captant de la valeur sans en recréer. Il n’est plus possible de fermer les yeux : il est urgent d’instaurer un droit d’auteur du livre d’occasion. Nous le savons maintenant, et l’avis du Conseil d’Etat ne le contredit pas, cela est possible en l’état des textes français et européens. Seule manque la volonté politique de le mettre en œuvre. Les précédents existent : le prix unique du livre, la reprographie, le droit de prêt, la copie privée, ont été, chacun à leur époque, des réponses équilibrées entre liberté d’accès et rémunération des ayants droit.

Et à chaque fois, c’est la volonté des acteurs en responsabilité politique qui s’est exprimée.

À cela s’ajoutent d’autres menaces, plus insidieuses sur lesquelles je me dois de revenir.

 

L’intelligence artificielle d’abord.

S’il est un sujet qui symbolise à la fois les promesses et les menaces de notre temps, c’est bien celui de l’intelligence artificielle.

 

Nous regardons de très près l’actualité aux Etats-Unis avec la transaction en cours entre Anthropic et les ayants droit. Pour la première fois, les sommes en jeu – plus de 1.5 milliards de dollars pour mettre fin aux poursuites – donnent la mesure des manquements avérés sur des centaines de milliers de titres.

 

Dans un autre système de droit, le nôtre, historiquement protecteur du droit d’auteur, nous avons décidé, au début de cette année, d’assigner Meta en contrefaçon et parasitisme. Nous sommes parfaitement lucides sur l’effort qui sera nécessaire pour faire aboutir cette procédure, mais nous sommes totalement déterminés à aller au bout du combat avec la conviction que « Dans une époque de supercherie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire » comme le disait George Orwell.

 

Le pire de l’IA est déjà visible avec la prolifération de ces faux livres et leur cohorte de faux commentaires sirupeux, ces objets sans aucune valeur ajoutée éditoriale générés en masse et en quelques prompts par des intelligences artificielles elles-mêmes nourries du pillage d’œuvres sous droit. Nous ne resterons pas inactifs face à ces dérives comme au non-respect délibéré et généralisé de notre droit d’opposition par tous les acteurs de l’IA.

 

Pour autant, nous ne sommes pas des technophobes. L’IA est un outil, parfois un formidable levier, à condition qu’elle soit encadrée, transparente, et respectueuse du droit d’auteur.  

 

Malgré ces sources d’inquiétude qui déterminent les axes de notre action future, notre secteur continue de se transformer et de se renforcer.

Je veux saluer ici plusieurs initiatives et réussites collectives :

 

Comment ne pas évoquer d’abord, ici même sur le magnifique stand de France Livre, la belle vitalité des cessions de droits de traduction grâce à laquelle la France continue de tenir son rang dans le monde des lettres, mais aussi les cessions de droit pour le cinéma et l’audiovisuel, qui connaissent une nouvelle vigueur. Elles témoignent de la puissance d’inspiration de nos catalogues et de la reconnaissance internationale des auteurs français.

 

Le programme Filéas, lancé en avril dernier, est un succès incontestable. Près de 5 000 auteurs s’y sont déjà inscrits, soit en quelques mois 10% des auteurs concernés. Bientôt, les éditeurs disposeront aussi d’indicateurs quotidiens, précis, sur les ventes et les stocks, pour améliorer la gestion des tirages. Dans un marché en tension, prévenir à la fois les ruptures et les surtirages devient une nécessité vitale.

 

Par ailleurs, le plan Chapitres responsables lancé par le Syndicat au début de cette année. Dès 2026, chaque éditeur pourra mesurer l’impact carbone de chacune des ses fabrications et suivre sa propre trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous serons bientôt en capacité de produire des indicateurs sectoriels.

 

Ces deux projets, stratégiques et structurants, bénéficient du soutien déterminé du Centre national du livre que je tiens à remercier publiquement. Le CNL joue un rôle essentiel dans notre écosystème. Il accompagne les projets de filière, aide des projets éditoriaux qui ne pourraient voir le jour sans son concours, notamment des traductions, soutient les auteurs et les libraires, la lecture. Plus de 3000 ouvrages en bénéficient chaque année.

 

La perspective d’une amputation d’un quart de ses budgets d’intervention nous concerne directement. Nous ne comprendrions pas que ces coupes soient disproportionnées au regard des efforts légitimement demandés à tous. Faut-il alors en conclure que les enjeux du livre et de la lecture sont désormais tenus pour secondaires voire négligeables ?

 

Le pass Culture, lui aussi, est à la croisée des chemins.

Nous avons pu constater son efficacité, notamment pour toucher de jeunes lecteurs qui n’avaient pas l’habitude d’entrer en librairie. Il serait incompréhensible de fragiliser plus encore un dispositif qui a démontré sa pertinence.

 

Ce que nous demandons, c’est une politique culturelle lisible, stable et ambitieuse, à la hauteur des enjeux du livre.

 

Chers amis, au-delà de ces chiffres, au-delà même de ces combats, demeure une question essentielle : celle de la liberté d’expression et de la liberté de publier.

Publier, c’est faire exister des voix multiples, parfois dérangeantes, souvent essentielles.

C’est croire que la complexité n’est pas un défaut, mais une richesse.

C’est croire que le livre est un espace de nuance, de dialogue et d’humanité.

C’est affirmer, face aux simplifications de l’époque, que la culture est une construction patiente, collective, fragile, et qu’elle mérite d’être défendue.

 

C’est peu dire que les prochains mois qui s’ouvrent devant nous, seront décisifs.

Les arbitrages budgétaires, les débats parlementaires, les décisions judiciaires sur l’IA, tout cela dessinera le cadre dans lequel nous exercerons demain nos métiers.

Alors… nous avons le pouvoir de rester unis, ce qui est une chance à préserver, de faire entendre notre voix, et de garder le cap sur l’essentiel : défendre la création, la lecture, la liberté. À nous de faire en sorte que le livre demeure ce qu’il a toujours été : une promesse de liberté et d’intelligence partagée.

Je vous remercie.

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