Livre d’occasion
Marché florissant qui fragilise l'édition, le livre d'occasion est un sujet au cœur des préoccupations du syndicat.
La récente étude sur le livre d’occasion réalisée par la Sofia indique que 20% des livres ont été achetés d’occasion en 2022, ce qui représenterait un chiffre d’affaires de 351 millions d’euros. Sur ces ouvrages achetés d’occasion, le premier segment du marché, la « littérature », est particulièrement touché par le phénomène puisque plus de la moitié des exemplaires achetés d’occasion concerne ce secteur. Le SNE avance des propositions.
L’étude de la Sofia permet de prendre conscience d’un changement de paradigme : les ventes entre particuliers se sont largement développées via des plateformes dédiées telles que Leboncoin ou Vinted qui facilitent ce type de transaction. De nouveaux acteurs spécialisés sur la vente de livres d’occasion ont aussi permis son essor (Momox, La Bourse aux Livres, etc.). Cette offre en ligne, devenue pléthorique, entraine un changement profond des habitudes de consommation de la part des lecteurs. Ainsi l’achat de livres d’occasion est devenu un acte réfléchi, là où il était, il y a encore dix ans, un acte d’achat opportuniste. En 2022, parmi les acheteurs d’occasion, un sur deux déclare avoir acheté d’occasion
alors qu’il pensait initialement se procurer un ouvrage neuf.
Devant ces constats (augmentation des achats et de l’offre de livres d’occasion) la chaîne de création financée par les ventes de livres neufs est largement mise en danger. Le prix unique du livre, pilier de la loi Lang de 1981, est aussi mis à mal par des offres mettant en concurrence le prix du livre neuf face au prix du livre d’occasion, au même endroit.
Afin de pouvoir pérenniser la chaîne de création, qui fait la richesse de la production éditoriale française, il semble nécessaire que les auteurs et les éditeurs, qui en sont les artisans, puissent percevoir, directement ou indirectement, une rémunération sur la vente de livres d’occasion.
Il s’agit donc de concilier la pratique du livre d’occasion, qui aujourd’hui profite essentiellement aux plateformes en ligne, avec les grands équilibres de la création éditoriale : son financement et sa diversité.
Sujet déjà identifié depuis plusieurs années par la filière, le livre d’occasion avait fait l’objet de prises de positions du sénateur André Vallini et du député Hervé Gaymard, qui avaient chacun demandé au gouvernement d’élaborer des pistes de travail dès 2013. Fin 2023, le SNE a lancé son propre groupe de travail pour élaborer plusieurs scénarios de solutions concrètes.
Après des premières discussions avec les représentants d’auteurs et le ministère de la Culture, le Syndicat a pu sensibiliser sur le sujet au plus haut niveau de l’Etat à l’occasion du Festival du Livre de Paris. L’appui du président de la République à la proposition du SNE d’une contribution sur le livre d’occasion a été accueilli avec satisfaction par les éditeurs.
Vers une rémunération équitable
La question du livre d’occasion est donc un chantier prioritaire du Syndicat national de l’édition. Grâce à une mobilisation d’envergure des auteurs et des éditeurs, la mise en place d’un mécanisme de rémunération est désormais à l’ordre du jour. La montée en puissance des achats de livres d’occasion, pour partie au détriment du marché premier, s’accélère au point d’en faire un enjeu majeur de politique culturelle.
Auteurs et éditeurs ont travaillé depuis plusieurs mois à élaborer une solution permettant un partage équitable de la valeur générée par la vente de livres d’occasion. Ces concertations, les analyses juridiques menées par le SNE ainsi que les discussions avec les services du ministère de la Culture amènent à considérer qu’une rémunération fondée sur le droit d’auteur permettrait de protéger la filière et de compenser les pertes subies par les acteurs de la création.
Afin de rendre effective une collecte et une répartition des sommes permettant cette rémunération de la création, la recommandation commune des auteurs et éditeurs est de recourir à un mécanisme de gestion collective, construit sur les modèles du droit de prêt et de la copie privée numérique, déjà éprouvés avec succès par la filière.
Il semble important de paramétrer ce mécanisme afin que les acteurs de l’économie sociale et solidaire, ainsi que les transactions de proximité entre particuliers, soient exemptés au moyen, par exemple, d’une franchise de chiffre d’affaires. De fait, ce dispositif concernerait principalement les grands opérateurs de la vente de livres d’occasion et/ou de la mise en relation entre vendeurs et acheteurs d’occasion.
Enfin, pour renforcer l’effet social utile de cette mesure, une partie des sommes perçues dans le cadre de ce nouveau système pourrait être affectée à des politiques d’intérêt général à déterminer.
Ces dispositions ambitieuses et novatrices doivent être affinées et précisées. Le Syndicat national de l’édition et les représentants des auteurs attendent un engagement politique courageux et déterminé vers un mécanisme de rémunération équitable, comme l’avait appelé dans ses vœux le président de la République lors de sa visite au Festival du Livre en 2024.
Une année de mobilisation
Dès le Festival du Livre de Paris de 2024, le président de la République a soutenu la proposition du Syndicat national de l’édition d’une contribution sur le livre d’occasion. Par ailleurs, la question du livre d’occasion a été au cœur de nombreux échanges, notamment pendant l’édition 2025 de cette manifestation littéraire. Grâce à cette sensibilisation, la prise en compte du sujet est maintenant effective.
Tout au long de 2024 et 2025, le sujet du livre d’occasion a régulièrement été abordé dans différentes instances professionnelles. Présent lors des 9ᵉˢ rencontres professionnelles de la Foire de Brive en 2024, le SNE, aux côtés du Centre national du livre, de la Sofia, du Conseil permanent des écrivains et de Gibert, a mis l’accent sur les impacts du marché de l’occasion sur la création littéraire et le marché du livre en général.
Le syndicat a également consacré une table ronde à ce sujet prioritaire lors du Festival du Livre de Paris 2025, qui a permis d’apporter des précisions sur la question de la cannibalisation du marché du livre neuf par le marché en ligne du livre d’occasion et, d’évaluer les différentes pistes juridiques possibles afin d’instaurer une rémunération.
Le point de vue juridique
L’analyse juridique approfondie menée par Sarah Dormont, maître de conférences à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne, conclut à la compatibilité avec les textes européens et internationaux d’une rémunération des auteurs et des éditeurs assise sur les ventes de livres d’occasion. En effet, si le principe de l’épuisement du droit de distribution prohibe l’interdiction de la revente des livres, rien ne ferait obstacle à ce que des droits d’auteur soient perçus en compensation de cet usage.