Accessibilité des livres pour les personnes empêchées de lire
La loi française a introduit une exception au droit d’auteur en faveur des personnes handicapées pour leur donner accès à la lecture de livres adaptés. Plusieurs actions des éditeurs facilitent l’adaptation des documents.
SOMMAIRE
Au niveau français
Livres adaptés et exception en faveur des personnes handicapées
La loi DADVSI, du 1er août 2006, a introduit une exception au droit d’auteur en faveur des personnes handicapées. Ses conditions de mise en œuvre ont été révisées par la loi n° 2016-925, du 7 juillet 2016, relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine puis par la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Cette exception permet à des organismes à but non lucratif – personnes morales ou établissements figurant sur une liste arrêtée conjointement par les ministres chargés de la culture et des personnes handicapées, de réaliser et de communiquer aux personnes en situation de handicap des versions adaptées des œuvres sans avoir ni à demander d’autorisation préalable aux titulaires des droits et droits voisins (auteurs, éditeurs, producteurs, interprètes, etc. ) ni à les rémunérer.
Cette exception est réservée aux cas où il n’existe pas d’édition commerciale répondant au besoin du bénéficiaire de l’exception. La consultation de ces versions adaptées est strictement personnelle et réservée aux bénéficiaires de l’exception. Toute personne atteinte d’une ou de plusieurs déficiences des fonctions motrices, physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, y compris les publics « Dys », peut demander aux organismes compétents l’accès à une version adaptée d’une œuvre dès lors que cette œuvre n’existe pas dans un format adapté à son type de handicap.
La rentrée littéraire accessible
Allant au-delà de la simple réponse aux demandes dans le cadre de l’exception légale, les éditeurs de littérature ont pris l’initiative depuis 2013 de mettre à disposition des personnes empêchées de lire une grande partie des titres de la rentrée littéraire en format accessible. Grâce à l’appel lancé par le SNE et au soutien actif du CNL, plus de 2 500 titres de la rentrée littéraire ont ainsi été déposés de façon anticipée depuis 2013.
Chaque année, ce sont plus de 400 romans de la rentrée littéraire, dont environ 90 titres jeunesse et 80 % des romans sélectionnés sur les listes de grands prix littéraires qui sont ainsi proposés en format directement adapté aux personnes empêchées de lire.
Techniquement, les éditeurs de littérature transmettent les fichiers XML ou EPUB des livres de la rentrée littéraire sur la plateforme Platon avant parution. Les associations agréées partenaires de l’opération (l’Association Valentin Haüy, BrailleNet, l’apiDV , l’Institut National des Jeunes Aveugles, Braillenet, Lisy) convertissent durant la période estivale les fichiers au format accessible Daisy et les reversent sur la plateforme Platon. Le format Daisy propose des fonctionnalités spécifiques telles que la conversion du texte en voix, l’indexation et la navigation au sein d’un fichier.
Cette initiative, qui a vocation à être reconduite et élargie, permet aux personnes empêchées de lire de bénéficier des romans dès leur sortie, en anticipant sur la procédure légale. .
Pour plus d’informations, contactez Tiphaine Duchénoy : tduchenoy@sne.fr
Vers la production de livres numériques nativement accessibles
La directive européenne relative à l’accessibilité des biens et des services a été adoptée par le Conseil le 8 avril 2019. Son objectif est d’harmoniser les exigences en matière d’accessibilité applicables à certains produits et services clés. Son non-respect pourrait entraîner des sanctions. Sont concernés les livres numériques, mais également les logiciels leur étant dédiés, les sites Internet et les lecteurs de livres numériques.
La transposition du texte en France interviendra d’ici 2022 pour une mise en oeuvre dès 2025.
Le champ des personnes visées par la Directive est plus large que l’exception en faveur des personnes handicapées puisqu’elle concerne également les personnes présentant une incapacité liée à l’âge ou toute autre limitation des performances du corps humain, permanente ou temporaire.
Pour être considérés comme accessibles, les livres numériques devront répondre aux critères suivants, définis dans la Directive européenne :
- veiller à ce qu’un livre numérique contenant des éléments audio en plus du texte fournisse des contenus textuels et audio synchronisés ;
- veiller à ce que les fichiers numériques n’empêchent pas les technologies d’assistance de fonctionner correctement ;
- garantir l’accès au contenu, la navigation dans le contenu et dans la mise en page du fichier, y compris la mise en page dynamique, la mise à disposition de la structure du fichier, la flexibilité et le choix de la présentation du contenu ;
- permettre des restitutions alternatives du contenu et son interopérabilité avec diverses technologies d’assistance, de manière à ce qu’il soit perceptible, utilisable, compréhensible et robuste ;
- permettre la découverte en fournissant des informations, via les métadonnées, sur les caractéristiques d’accessibilité ;
- s’assurer que les mesures de gestion des droits numériques ne bloquent pas les caractéristiques d’accessibilité.
Voir la fiche technique : L’accessibilité des livres pour les personnes empêchées de lire
Au niveau international et européen
Contexte
Le 30 septembre 2016, est entré en vigueur le Traité de Marrakech de 2013 de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) sur l’exception « handicapés ». Il permet l’adaptation des œuvres pour les besoins des handicapés ainsi que les échanges transfrontaliers de ces œuvres adaptées sans l’autorisation des ayants droit. Par ailleurs l’OMPI a établi en 2009 une plateforme de dialogue entre les ayants droit et les malvoyants, gérée par l’Union Internationale des Editeurs (UIE), afin de lancer des expérimentations. Il s’agit du projet TIGAR (Trusted intermediary global accessible resources) qui réunit les représentants des éditeurs, des auteurs, des handicapés visuels et les sociétés de gestion collective de l’écrit et continue de progresser.
Il convient de noter qu’au niveau européen, la FEE et l’Association européenne des aveugles (European Blind Union/ EBU) avaient déjà signé le 14 septembre 2010 un protocole d’accord sur les échanges transfrontaliers d’œuvres adaptées, qui fait toujours l’objet de discussions en vue de sa mise en place concrète.
L’objectif de ces actions basées sur le principe d’autorisation préalable est de faciliter ces échanges en mettant en place un réseau d’intermédiaires de confiance accrédités qui apporteraient des garanties aux éditeurs (vérification du taux de handicap, obligations en termes de sécurisation des fichiers, reporting régulier aux éditeurs, etc.).
Transposition au niveau européen du Traité de Marrakech
Le 13 Septembre 2017, les institutions européennes ont adopté une directive transposant le Traité de Marrakech sur l’exception « handicapés » et les échanges transfrontaliers d’œuvres adaptées au sein du Marché Intérieur ainsi qu’un règlement transposant ce Traité pour les échanges entre l’Union Européenne et les pays tiers. Le 1er octobre 2018, l’UE a ratifié le Traité de Marrakech. Le règlement est entré en vigueur le 12 Octobre 2018.
La participation des éditeurs français au projet Tigar
Au sein de l’OMPI, le dialogue avec les ayants droit et les handicapés visuels au sujet de la circulation transfrontalière des œuvres adaptées se poursuit. Cette plateforme désormais intitulée ABC (« Accessible Book Consortium »/ Consortium des Livres Accessibles) se concentre sur trois axes de travail :
1. Projet Tigar
Le projet TIGAR vise à permettre l’échange sur un mode volontaire d’œuvres déjà adaptées en Braille ou en Daisy entre des intermédiaires de confiance de type l’association Valentin Haüy ou BrailleNet, dont la participation est entérinée par les éditeurs, et dans un cadre sécurisé. Dans ce contexte, le Bureau du SNE du 4 mai 2011 a donné son aval en vue d’une participation des maisons d’édition françaises à TIGAR.
Côté groupes et maisons d’édition, Albin Michel, Editis, Gallimard, Hachette Livre, Liana Levi, La Martinière, Média-Participations, Les Editions de Minuit et Quae ont été les premiers signataires dès septembre 2011.
Grâce à cette forte mobilisation française, les intermédiaires de confiance francophones Braillenet, l’association Valentin Haüy, Canadian National Institute for the Blind (CNIB) et l’association pour le Bien des Aveugles peuvent mettre à la disposition de leurs homologues un riche catalogue d’œuvres françaises adaptées, au profit d’handicapés visuels au niveau européen et international.
Alors que le projet TIGAR devait s’achever en octobre 2013, il a été décidé d’en faire une entité pérenne :
- Participation de 16 intermédiaires de confiance (en Australie, au Bangladesh, au Brésil, au Canada, au Danemark, en France via l’Association Valentin Haüy/ AVH, en Finlande, en Irlande, en Islande, en Nouvelle-Zélande, en Norvège, en Afrique du Sud, en Suède, en Suisse, aux Etats-Unis et aux Pays-Bas) et de 45 ayants droit (éditeurs, sociétés de gestion collective, associations d’auteurs).
- Recensement de 319.000 titres (dans 55 langues différentes) déjà adaptés
- Réflexion sur la mise en place des solutions de gestion collective afin d’accélérer les autorisations.
- Mise à l’étude de la circulation transfrontalière des fichiers sources.
Aujourd’hui, la participation à TIGAR/ ABC garde toute sa raison d’être pour les éditeurs français, en permettant la poursuite des échanges avec les pays n’étant pas encore parties au Traité et en fournissant un cadre de référence pour les entités autorisées françaises, canadiennes et suisses qui pourront notamment identifier les œuvres déjà adaptées à l’étranger par les autres entités partenaires et, à terme, les œuvres nativement accessibles et disponibles dans le commerce. En effet, il représente la seule base de données permettant aux 16 associations membres de savoir si et par qui une œuvre a déjà été adaptée et de télécharger ces œuvres de manière transfrontalière et sécurisée.
Le syndicat national de l’édition appelle donc les éditeurs à continuer à accorder ces autorisations à l’OMPI.
2. Promotion et formation à l’édition « nativement accessible » :
- Promotion de l’ePUB 3.
- Identification des lacunes de la chaîne du livre pour mettre en place un marché pleinement accessible.
- Proposition d’une « charte de l’édition accessible » à signer par les éditeurs
3. « Capacity Building » (Aide à la mise en place d’intermédiaires de confiance et formation des éditeurs et des administrations dans les pays en voie de développement)
- Objectif de contacter de nouveaux intermédiaires de confiance dans des pays en développement relevant de bassins linguistiques importants.
Au niveau européen : Transposition en France de la directive européenne sur l’accessibilité des biens et des services
La directive européenne relative à l’accessibilité des biens et des services a été adoptée par le Conseil le 8 avril 2019. Les services du Premier ministre ont programmé une transposition du texte dans un délai de 3 ans.
Le ministère de la Culture a mis en place un comité de pilotage pour préparer le secteur du livre à la commercialisation de livres numériques répondant aux exigences d’accessibilité.
« Les avancées technologiques dans le domaine de l’édition numérique rendent possible la production de livres numériques nativement accessibles [pour] les livres numériques à maquette simple et faiblement illustrés (littérature générale, essais, sciences humaines, etc.) publiés à destination du grand public. »
Le comité de pilotage a adopté un plan stratégique qui décline douze orientations à suivre pour garantir une évolution coordonnée de tous les acteurs de la chaîne du livre vers l’accessibilité.